jeudi 2 février 2012

Fragments des guerres tertiaires, 2

 Je vous largue par avion des blocs entiers de notes sur les guerres tertiaires. Images en fin d'article!

Ch. X : Les Milliards

Et alors, John ?
« Le paysage c’est les autres. Les autres, c’est la contemplation. Les autres, comme le paysage, sont sans musique. Ils sont nus.
Toi tu aimes quand le monde semble faux, semble émaner de ton délire. La campagne t’effraie, parce qu’elle est trop réelle. Quand la campagne est hostile, au moins elle répond, elle te répond. Cette campagne que tu traverse, c’est un territoire immense, tout est de la campagne, tout est de cette même étendue. Le monde, c’est comme si on avait cousu ensemble tous les draps et toutes les couvertures. De vagues lampadaires paumés se reflètent dans la surface aqueuse de quelque culture ; mais : rizière, ou champ de blé avec de l’eau dans les sillons ?
Icare était un faux, tu savais ? Et cette brume silurienne, qui noie tout ce qui n’est pas assez fort pour se construire un abri, c’est elle qui donne à la campagne son caractère sacré-soigné, d’autres diront.
Le soleil met un temps pas possible, rien qu’à s’élever de quelques centimètres et à transformer le violet en bleu puis en gris. Chromatiquement, la lumière prend son temps. Nous sommes des cafards rampants, qui complotons. Le monde, ce sont des tas disposés à intervalles irréguliers. Des tas, des éminences, des moments forts comme sur une piste audio. Et tout se confond, de la forêt d’arbres dénudés à la forêt née du transport de l’électricité, avec ses grands pylônes bien espacés et son sous-bois de caténaires et son éclairage urbain sec, orange, décoratif.
On est où, là ? Pourquoi le train ralentit ? Où on a atterri ? Ce n’est pas l’une de ces villes ramassées dans des vallées humides entre deux caisses de rocs. C’est la pleine plaine, où chaque monticule, reposant sur d’anciennes pourritures, mène l’observateur à un cercle de quarante kilomètres de diamètre, d’où il voit tout. Des maisons phénix, des blocs d’habitation, et encore ces supermarchés et ces gares, avec des petits sentiers entre les tas, les buttes et les voies. Sentiers entre les routes, là où d’excitantes départementales relient métropole à métropole.
Alors voilà John, ce que tu aimes dans ce paysage. Ces milliards de détails étiquetés sur la grande bâche déployée à tes pieds, comme des hérissons morts, des oiseaux dispersés.

« La croissance de la population n’est pas finie, trop de gens ont l’espoir d’exister. Alors ce que tu vois aujourd’hui, ce sera encore infiniment plus complexe d’ici trente ans. La conurbation va se densifier, on traversera des endroits qui auront des noms qui ne te diront rien, des zones sans spécificité, ou aux spécificités tellement subtiles qu’il te faudra des mois pour les détecter, établir une différence entre l’endroit d’où tu es parti, et l’endroit que tu traverses. Il y aura 90% d’agriculteurs, tous d’humbles artistes de la débrouille, 90% de professionnels de l’improvisation. Faudra faire avec une pauvreté devenue générale. On ira s’enfoncer loin dans la communauté des communes européennes, on aura d’autant plus cette sexualité décentrée dont tu parlais.

…si tu vis jusque là.





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