Historia de un Rio - Stori Flovensik est un texte tropical et utopique (utropique?). Marla en est l'auteure privilégiée. Dans ce texte, Nord et Sud cheminent ensemble le long d'un fleuve immense un jour d'été ou de printemps où toute autre activité serait trop dure à mettre en oeuvre.
Nord et Sud ne
sont pas dénués de sexualité, même si ils ne constituent jamais un
couple ; en revanche ils sont strictement privés de genre. Ou plutôt,
mieux dit, ils sont alternativement, ou simultanément : femme, homme, et
les deux à la fois.
Cette marche, ce fleuve, ces deux personnages donneront naissance aux premiers drafts (drifts?), aux premières esquisses mouvantes de la ville mythique de K, qui sera la synthèse des trois derniers siècles d'urbanisme et d'histoire des réseaux qui pensent. La synthèse, autant que le linceul de la très hypothétique civilisation occidentale -son panonceau d'autostop, sa déclaration d'indépendance, son certificat de décès.
Que
pasa con la electricidad.
C'est
un jour où les réseaux étaient inexplicablement lents.
Pas
d'eau dans les canaux non plus
Mauvaise
odeur dans le siphon
Impossible
de déterminer si ce sont les vacances ou une zone temporelle entre
les vacances et le travail.
Ce
sont deux machines à ne rien faire qui s'appellent Norte et Sur, ou
A et B, la vérité importe peu.
Prennent
les bicis pour ramper jusqu'aux abords du fleuve alimentant la ville
immense.
Quel
plaisir de ne pas être seul avec internet,
d'avoir
un corps cheminant à côté du sien.
Ce
sont quatre machines (deux en haut qui parlent, deux en bas qui
roulent).
(On
rouillais sur la rouille, la nuit et la pluie et le vent
oui,
je me souviens, énormément de vent.
Temps
gris et lourd, nuages énormes comme des continents inversés.
Hasta
la ligne-floue del rio, je pense qu'on peut atteindre las orillas
On
m'a dit que c'est l'endroit où le delta charrie le plus de vélos
morts
et
de machines usées
l'endroit
de la vie joyeuse et des cadavres.)
Norte
parle
Donde
estamos ?
Es
importante acordarse que los barrios ricos y los lugares de empleo
son situados al norte y al este de la Capital, y que los pobres son
al oeste y al sur, lejos de las orillas del gran rio y del buen aire
que trae.
Arrêtés
devant le fleuve, où il n'y a rien à faire ni rien à dire, puisque
ce n'est que la ligne floue de la jonction agua-tierra.
Son
dos perdidos près d'un fleuve
Le
fleuve est immense
Tellement
grand et large qu'on ne peut pas voir l'autre rive
Si
il y a une autre rive, et si c'est bien un fleuve.
La
corriente es tan lento hoy qu'il est impossible pour l’œil de
déterminer le sens dans lequel il se déroule.
Sur
jette une branche trop humide qui coule dans les limons beiges, entre
les veines sablonneuses.
Norte
explique en ayant un peu l'air de mentir que dans cette
direction (choisie au hasard) il y a un pont très large et très
long qui relie les deux rives.
Les
yeux qui cherchent le pont, ou la direction du courant. Le regard qui
seulement rencontre le regard de l'autre ou la lumière faible du
soleil. Il y a un silence pesant qui indique que les corps récupèrent
de la course.
Le
paysage est vide de construction humaine.
Le
nom de Tacoma proviendrait du nom amérindien du Mont Rainier,
Tacobet, qui signifie «madre de las aguas ». Son surnom de
Cité du Destin (City of Destiny) provient du fait que le site où a
été construit la ville a été choisi par la Northern Pacific
Railroad pour être el terminus oeste de la ligne de chemin de fer, a
la extremidad sur de la baie du Commencement (Commencement Bay).
Pero
no hay trenes.
C'est
le delta impossible à traverser, l'origine brune du fleuve.
Le
fleuve s'introduit dans les fondations de chaque maisons et l'eau du
ciel est strictement la même que l'eau de la terre, la même mais à
deux moments différents ;
Norte parle:
J'ai
entendu une histoire de pont effondré.
Sur parle:
il
n'y a que de l'eau ici, ce pays de malheur qui n'est aucun pays, et
tous les pays en même temps se recouvre d'eau à intervalles
réguliers.
Le
fleuve déchaîné par les pluies d'amont emportant le pont et les
autos dessus, on retrouvera plus tard les autos mais pas les
passagers, dilués dans l'eau brune limoneuse.
Sur parle:
Les
pluies diluviennes durèrent pendant des jours et des rues-fleuves se
formèrent
Sur
montre les photos de la marque qu'avait fait l'eau dans l'entrée de
son immeuble, on voyait très bien les strates différentes indiquant
avec une quasi-certitude la lenteur avec laquelle les eaux s'étaient
retirées...
Norte
fabrique l'image du plan en damier d'une ville, toutes les rues sont
scintillantes d'eau.
Me
hace pensar...
Norte
raconte un rêve compliqué, ou plusieurs rêves qui se ressemblent.
Dans un des rêve il lui faut se rendre de sa maison à son lieux de
travail avec de l'eau jusqu'aux genoux. Les pieds heurtent
d'invisibles batteries de voitures poussées au fond par un fort
courant.
Un
autre rêve raconte le voyage depuis une ville importante, la ville
de sa naissance, jusqu'à une autre ville, celle de son travail, en
marchant dans le lit d'une petite rivière au débit rapide... Durant
tout ce voyage, il fait nuit.
Sur parle:
J'ai rêvé d'une ville immense au milieu d'un désert ou d'une
montagne. Les rues de la ville portaient des noms des fleuves et de
rivières. Je remontais la rue Nil, croisait la rue Amazone, la rue
Gange, la rue Rhône, puis la rue Tamise. Je cherchais la rue
Mississippi mais ne la trouvait pas. Les rues étaient courbes, sans
perspectives. Les façades des maisons étaient silencieuses. Il n'y
avait pas de voiture garées de part et d'autre. Ça sentait la
catastrophe.
Perder
o vender las bicis.
Chute
et roue voilée
Nord:
les véhicules sont ce qui réchauffe le monde
Le
résultat est le même
Il
n'y a plus que les pieds
Norte
parle : L'avion, le car, ont tout de l'extase sensuelle. Quand
l'avion plonge ou décolle je sens mes intérieurs effectuer des
trajets comme lors de caresse très prolongées. Voyage en avion et
caresses ne sont pas les mêmes choses mais touchent les mêmes
organes. C'est le transport du commun. Il bouge quelque chose, il
déplace le point de gravité, il me fait chuter à l'intérieur de
moi-même. Mais aujourd'hui, il n'y a ni avion ni car ni train ni
voiture. La marche est un long préliminaire.
L'espace
est si vide qu'il se remplit de mythes et de prophéties. Les pensées
de Nord et Sud font émerger l'image des origines d'une ville sur
une des rives du fleuve. Le fantôme de ville prend la forme d'une
porte, d'un seuil ; una puerta, un ombral, PRAH, Praha, Prague,
Praga.
«Veo
una gran ciudad, cuya gloria se tocan las estrellas! Veo un lugar en
medio de un bosque donde un empinado acantilado se eleva sobre el río
Moldava. Hay un hombre, que es el trabajo umbral (prah) de la casa.
Un castillo llamado Praga (Praha) que se construyó allí. Así como
los príncipes y los duques encorvarse delante de un umbral, que se
inclinará al castillo a la ciudad y en torno a ella. Será Honrado,
privilegiado con gran renombre, alabanza y se le concedió por todo
el mundo».
Norte
sourit un peu, Sur baisse les yeux, mais tout ce qu'on peut voir ce
sont des fragments de murs en brique éparpillés léchés par les
vagues molles, et une luxuriante végétation.
Estan
dos perdidos.
Nous
discutons longtemps pour finir par bien nous connaître... Se
connaître tellement bien qu'on bute sans arrêt sur des phrases déjà
dites et des idées partagées ; jusqu'à ce qu'à nouveau le
fleuve nous sépare, nous forçant à suivre des idées très
différentes, des chemins évolutifs distincts. Je ne sais pas quand
nous nous reverrons.
Espero
verte de nuevo pronto. Ya te extraño.
Norte
y Sur parlent : Sommes-nous les deux rails parallèles ?
Condamnés à cheminer ensemble pour l'éternité sans jamais nous
toucher ?
Ils
s’assoient.
Ils
savent l'eau particulièrement dense (profonde)
Sur
parle : Si tu fixe l'eau pendant un long moment, ton corps finit
par croire que c'est une surface solide... Ou plutôt il aimerait le
croire, car une autre partie de ton corps sait très intimement que
tes pieds ne pourraient pas glisser à la surface et que tu coulerais
comme une pierre, ou, mieux dit, comme un tronc d'arbre.
En
observant les variations d'intensité du courant, la tectonique
accélérée de la surface de l'eau, et tous les objets raturant la
peau.
Une
Petite Tong à motifs de fleurs, du bois brûlé, des racines de
nénuphar et des morceaux de polystyrène, des troncs coupés à la
scie, à la hache, puis de plus en plus de troncs simplement arrachés
par les pluies d'amont (qui ont duré longtemps, plus longtemps
qu'une vie humaine) des brindilles qui s'ordonnent naturellement
comme des aiguilles d'une boussole, quelques bouteilles vertes et un
fragment de casquette.
Norte
parle : N'est ce pas comme ça que tu as perdu ton sac, la
première fois ?
N'est-ce
pas que subitement il s'est vidé des indices de ta vie et s'est
rempli à la place d'eau des rivières ? Dedans en le repêchant
on trouve un poisson paniqué sans doute plus vieux que nous deux
réunis ;
En
se relevant, Sur parle : rien n'est statique, cependant rien
n'est cyclique non plus.
La
casquette fait des cercles très larges dans l'eau.
Te
souviens tu de ce car qui ne longeait pas un fleuve mais qui ne
faisait que traverser des ponts?
De
ce moment où un petit fleuve improvisé avait coupé la route du
car?
Norte
fabrique l'image d'une ville dans laquelle il est possible de tout
ignorer de La Capital.
Des
trains et des bus qui effectuent de très longs trajets, mais qui
s'arrêtent aussi en balnieue et qui s'arrêtent moins quand le tissu
urbain se desserre et devient forêt, marécages et montagnes.
La
Capitale, Cerveau de la Nation, n'existe pas. Elle n'est que l'une
des potentialités de chaque ville, chaque village et chaque maison
isolée du pays et peut-être du monde.
Ce
qu'il nous faut c'est une capitale qui ne soit pas le centre de la
nation. Ce qui nous faut c'est des millions de capitales et pas de
nations.
Un
grand pays rendu aux mouches nocturnes.
L'après-midi
dans les forêts métalliques entre les montagnes de fer (mica,
roches étranges à travers lesquelles la lumière passe) l'activité
réduite des humains laisse imaginer que la civilisation a disparu;
seules restent les mouches.
Tu
sais, les kilomètres ne sont rien. Et en même temps, les kilomètres
sont invincibles. Toi tu es vincible, mais ce n'est pas grave, il y a
le vent et les montagnes, il y a le vent dans les montagnes. Il y a
le vent dans les câbles électriques, il y a le vent et
les câbles électriques.
Quand
nous marchons nos corps sont entiers dans la marche, dans la
mécanique de la vitesse intime... Des pierres... La poussière reste
très près des pas. Dans les véhicules l'eau et la poussière
s'élève et nos corps se soulèvent – (Sur) se surélèvent –
Oui.
La
nuit tombe. Le Rio n'a toujours qu'un courant faible. La route est
poussiéreuse.
Un
groupe apparaît sur la route joints ils en occupent toute la
largeur.
Norte:
Ils marchent pour faire
la route!
Puis
ils disparaîssent.
Sur:
Le chemin les a avalés!
Norte
sait que le chemin se fera avec Sur, et de fait s'inquiète pour son
dos, son ventre, ses pieds;
Norte
& Sur dorment à l'hôtel;
Odeur
d'une chambre où beaucoup ont dormi et dorment encore, mais il fait
trop sombre pour voir qui que ce soit même si la présence de
nombreux corps au repos est palpable.
Dans
l'immense construction en construction
Nous
sommes rêvants.