lundi 24 octobre 2011

Tyrannosaure



A cette époque, Marla était pionne dans un collège de ZEP pas loin de Valencienne pour payer ses études de géologie. Sincèrement désolée du Monde, elle passait tout son temps à  discuter avec les enfants, parmi lesquels elle trouvait le réconfort d’écouter. Vers novembre elle rencontra Titeuf.
Il animait, semble-t’il, des débats pseudo-scientifiques parmi ses camarades.
Il ne lui manquait qu’une estrade pour parfaire son rôle de personnage, avec toute cette attitude d’index levé, de mains jointes en signe d’explication, de front plissé par l’autosatisfaction.
Il avait sa place attirée dans le fond de la cour de récréation, près de l’entrée, et son petit public régulier.
Marla, qui faisait sa ronde frileuse –ayant été reléguée à l’extérieur par une sous-chef légèrement tyrannique-  tomba un matin sur une de ces séances de rhétorique. Il y avait peu de monde à cause du froid. Elle fut d’abord choquée par l’assurance et l’allure de colloque du parler de Titeuf, trouva cela déplacé pour un garçon de son âge (à cette époque, il devait avoir onze ans). Puis elle en fut curieuse jusqu’à y trouver un intérêt.
Voici le discours de Titeuf.

"Les tyrannosaures avaient survécu à toutes les autres espèces du genre dinosaurien, grâce à une férocité dont ils se vantaient.
Ils restèrent sur terre un peu plus de huit cent mile ans (et des brouettes) durant lesquels ils furent entre 6 et 15 millions à parcourir le globe.
Ils vivaient en petits groupes semi-nomades de quinze à trente individus, de la chasse, de la pêche, et de la production céréalière.
La structure sociétale tyrannosaure obligeait à de très longues périodes d’isolement mélancolique, de groupe en groupe, à travers les étendues inhospitalières du Paléocène. Ces périodes d’errance pouvaient durer une vingtaine d’années, symbolisaient le passage à l’âge adulte, et nécessitaient des déplacements très nombreux.
Pour se déplacer les jeunes tyrannosaures prenaient le train. L’avion n’avait pas encore été inventé et le bateau ne présentait aucun intérêt à leurs yeux.
La vielle compagnie Pangée Express, mise en place au tout début de l’ère carbonifère,  avait subi les aléas de la tectonique des plaques, et devait fréquemment être remise à neuf. Durant tout le Mésozoïque, une compagnie de diplodocus s’occupa de la Pangée express, mit en place les lignes provisoires en temps de glaciation et les lignes souterraines pour relier les continents entre eux là où la mer les séparait.
Avec l’extinction des diplodocus –affaire dans laquelle les tyrannosaures ne furent pas étrangers-  vinrent les complications. Une OPA, menée par des rongeurs primitifs, ne fit qu’une bouchée de la vielle Pangée Express, mais géra si mal les ponts et chaussées, qu’en à peine cent mille ans, il devint difficile de joindre deux destinations éloignées. Les tyrannosaures formèrent certains de leurs ressortissants à devenir cheminots, ingénieurs ; mais le projet fut assez vite enterré à cause de conflits problématiques entre les membres du personnel.
Dans les octante à nonante mille ans qui suivirent la société de chemin de fer fut rachetée par des koalas, des couleuvres et des hérissons, qui donnèrent une dizaine de noms différents à l’entreprise mis négligèrent les questions structurelles. Dans le même temps, les prix ne cessèrent d’augmenter.
L’un dans l’autre, les compagnies qui s’occupèrent de l’ancienne Pangée Express, toutes pleines de bonnes intentions qu’elles furent, ne purent faire au mieux que de la maintenance.
Cent mille ans passèrent encore et les déplacements longue distance n’intéressèrent bientôt plus que les tyrannosaures, dans un écosystème qui changeait.
 Un consortium d’entreprise qui gérait l’économie mondiale décida que les tyrannosaures devaient eux même gérer le réseau. Après une catastrophique période d’essai de cinq mille ans, les tyrannosaures firent un massacre mémorable parmi le consortium, s’illustrant notamment quand ils menacèrent de manger tous les opossums, sans exception. Les membres du consortium composèrent un pamphlet des plus acérés à l’encontre des tyrannosaures, les décrivant comme des monstres réactionnaires.
Pendant encore trois cent mille ans, de petites sociétés gérées par des diatrymas, des loutres, gagnèrent un peu d’argent sur ce filon financier en voie d’extinction.
Mais le système se mourrait et, progressivement, les groupes de tyrannosaures furent isolés les un des autres.  A cause d’une libido désordonnée et d’un sens du territoire particulièrement aigu, de terribles conflits éclatèrent.

Le monde se désintéressa des affaires des tyrannosaures pendant que le réseau disparaissait lentement : il y avait tant à faire dans un monde encore en déffrichage. Ils furent obligés de se mettre à la marche et vinrent se fossiliser au bord de la route, maussades, un tas de cailloux comme dernier oreiller.
Ils survécurent de raids violents et de regrets amers pendant une centaine de milliers d’années.
Puis, au fond des vallées humides, les ultimes dinosaures moururent cacochymes, mâchonnant en pleurant les os de leurs derniers petits-enfants."

Titeuf, vers ses vingt-cinq ans, écrivit ce texte à partir des souvenirs qui lui restaient de cette récréation de novembre, et gagna un pécule sur la publication, qui lui permit de vivre pendant un an et demi. Ce fut sa seule œuvre qui connu un peu la notoriété, les autres ne firent que du charbon de bois pour ses regrets et angoisses.

lundi 10 octobre 2011

Un rêve


C’est George qui me parle de M,  M… a commencé à faire brûler des choses –oh, très peu, tu t’en doutes- des petites choses dans le coin de sa cheminée, elle dit que son appartement est désormais très grand, très sombre… très calme. Je confirme très calme presque en même temps que lui, par un hochement du chef et quelque chose de verbalement approbatif. Parce qu’à ce moment-là j’ai une vision très claire de l’appartement de M,  de ses hauts plafonds et j’y vois l’image fugitive d’un –allez savoir, je ne contrôle pas ces visions- l’image d’un tombeau. Et dans le même temps j’entends la voix téléphonique d’M, faible et confiante.

George et moi sommes dans le bus. Le chauffeur, invisible, très lointain porte sa machine le long des quais froids et humides. C’est vrai que ce mois-ci il fait encore froid, et le froid semble frais. Les boutiques le long des quais ont été désertées, puisqu’on a dépassé XIX heures, et le plancher de certaines d’entre elles est couvert d’eau, l’eau du fleuve en crue.