jeudi 8 décembre 2011

Martin

Martin, un autre personnage des guerres bureaucratiques. Dates de naissance et mort inconnues. John et martin: ces deux-là vont par paire, sont consécutifs et symétriques.



Martin avait une fille, une fille petite et endormie, muette et encombrante. Un jour de neige la poussette en plastique fut propulsée de quelques centimètres en avant et la fille de Martin s’arrêta dans le vide avec douceur, retenu par la ceinture. Elle se mit à pleurer, alternant des épisodes de calme étendant un long gémissement uniforme, et d’autres un peu plus fort, par soubresauts, par saccades, par crescendo découpés.
Rien d’insupportable, jugea Martin, et il attendit. Mais elle ne cessa pas de pleurer. La nuit, dans cette capitale pleine de monde, il se rendit chez un pédiatre qui s’appelait George, craignant d’avoir sans le vouloir blessé sa fille unique.
Intérieur nuit avec une seule fenêtre. L’enfant balaie des yeux, de toute son incompréhension humectée de larmes, la pièce blanche du cabinet blanc du pédiatre.
-Mais elle n’a rien, pas de lésion… commence George.
Il y avait une peinture, une scène de rue dans le style du Douanier Rousseau, une reproduction laide mais minuscule, accrochée au-dessus de la tête du pédiatre.
-Si elle n’a rien, pourquoi pleure-t-elle ?
-Peut-être vous fait-elle payer ce qu’elle considère comme un manquement à votre obligation de tuteur. Peut-être vous reproche-t-elle de l’avoir fait presque tomber.
Martin ne dit rien,  mais laissa planer un silence dans lequel il injecta, ou essaya d’injecter, du sens et des reproches. Sa fille se calma, et observa la petite scène de ville.
-Vous êtes sûr ?
-J’ai été psychiatre pour les petits enfants. Ce faisant il se leva, et porta sa main-paluche à une poignée d’un bureau, poignée de fer qui entraîna dans la poursuite d’un geste gras et souple, vers le centre de la pièce, tout un mince trésor vertical. Le tiroir renfermait, entre deux plaques de verre, un diplôme plus petit que le tiroir (qui acheva de s’immobiliser) et une carte de géographie. Le petit tableau vibra sur son clou unique et Martin examina le diplôme qui disait quelque chose comme :

« Académie royale […] décernons […] George L. […] psychiatrie pour les moins de trois ans […] »

L’enfant bougea sur son support, on l’assit sur le bureau, et elle se mit à rire un peu.  

1 commentaire:

  1. C'est vrai qu'à trois ans, il vaut mieux consulter un dentiste qu'un psychiatre (c'est l'âge où la vie vous fait — une deuxième fois — le plus mal).
    Mais par nos temps modernes, il y a sûrement des psychiatres pour foetus.
    Cela étant, j'ai écrit un jour, sur mon blogue, qu'en médecine, il n'y avait en vérité que trois sortes de spécialistes : les psychiatres, les anesthésistes et les médecins légistes. Tout le reste n'étant qu'infirmerie, sachant qu'il y a d'excellents infirmiers de tout sexe, âge et poil.
    Et les beaux-arts étant les meilleurs des médicaments, enfin.
    Bien à vous.

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