vendredi 21 juin 2013

Le long d'une ligne.


On va le long d’une ligne. Le sol n’est pas stable.
L’horizon immense est humide et l’humidité semble
continuellement descendre du ciel pourtant très
lumineux. Il y a de la buée dans chaque espace du
ciel. Le sol est vierge de toute trace de chaussure, et
l’humidité ambiante y a créé des flaques à perte de
vue, un très grand nombre de cratères remplis disposés
irrégulièrement. L’humidité se condense autour de ma
bouche et sur mes cheveux en formant des gouttes. C’est
un pays de flaques. Je n’en ai jamais entendu parler et
on le traverse depuis déjà longtemps. La région est vide,
il n’y a pas d’animaux, pas de ville ou de construction,
et pas de relais. Les pieds s’enfoncent loin dans la boue/
mousse/eau/sable. Les pieds ne rencontrent pas de dureté
à la fin de leur course, ce qui rend la marche pénible et
lente, puisque chaque pas retire du sol de l’argile et de
la vase. Il n’y a rien à voir, il y a une crête montagneuse
grise très loin vers l’endroit où on se dirige.

Son ombre ne se dépose pas sur les cimes sèches de
toutes les plantes, elle se découpe sur les plus basses.
Depuis qu’on est entré ici, je remarque un très grand
nombre de plantes que je connais déjà un peu de vue,
d’autres que je reconnais formellement, d’autres que
je ne connais pas mais qui ressemblent à certaines que
je connais et d’autres qui ne ressemblent à rien dans
ma tête. De leur aspect je peux déterminer si on peut
les manger ou pas. Les plantes inconnues sont en plus
nombreuses que les autres, une proportion d’environ 6
pour 10. Il y a des animaux en très grand nombre : des
libellules, des scarabées, des  mouches, des moucherons,
des éphémères, des moustiques, des taons, des abeilles.
Ils forment un nuage de petits points en suspension lente
ou agitée, et chaque point a une trajectoire différente très
précise. 

Son ombre fait un écran entre mes yeux et le soleil
immense qui occupe toute la largeur du ciel et qui
enflamme une grande partie de la terre. Aussi je cherche
à me mettre le plus possible derrière lui. Le pire c’est
le clignotement provoqué par le passage de la lumière
à son ombre. Le sac est lourd, mes jambes ne suivent
pas avec un rythme aussi rapide que celui des autres,
mes chaussures trop grandes et mes pieds trop lourds,
j’ai également mal à l’intérieur, mais je ne saurais pas
dire où. Je pense très fort à la nuit. Je revois la nuit, et
les couleurs plus compliquées qui la composent. Je vois
les autres dormir sans se soucier, alors que moi je me
souciais et que ces soucis m’empêchaient de dormir.
Même si je ne veux plus dormir depuis un long moment,
j’ai très envie de me coucher. Mon corps veut la douceur
du lit et les autres corps immobiles produisant de la
chaleur autour de moi.

J’entends sa cheville craquer à chaque fois qu’il fait un
pas. C’est inquiétant car ça fait quelques kilomètres que
j’entends ce bruit. Visiblement il boite, mais je ne me
souviens pas l’avoir vu tomber. J’entends tousser envi-
ron une fois par minute : un son profond émanant des
intérieurs. Renifler souvent aussi. Je crois qu’ils sont
tous malades même s’ils ne se l’avouent pas. Ça pourrait
être l’humidité de la nuit. Et aucun des trois ne parle,
pas plus que moi, puisqu’ils marchent les un derrière
les autres en suivant la piste, pour ne pas s’en écarter, et
qu’ils ne se voient pas sinon de dos.  Pour parler il fau-
drait s’arrêter, et ce n’est pas au programme. Pour parler,
il faut ne plus avancer dans une seule direction mais
accepter toutes les directions à la fois, c’est à dire ne plus
bouger et s’asseoir en cercle.